
Les centres-villes sont faits pour les gens, il faut maintenant les y installer
Par Mary W. RowePrésidente-directrice générale, Institut urbain du Canada
En 1958, le magazine Fortune a publié un essai prophétique d'une Jane Jacobs alors inconnue, intitulé Downtowns Are for People (Les centres-villes sont faits pour les gens). Cet article a jeté les bases de son ouvrage phare , The Death and Life of Great American Cities (La mort et la vie des grandes villes américaines), qui a bouleversé des décennies d'idées reçues sur ce qui fait la prospérité de la vie urbaine. Son message était simple mais radical : les villes s'épanouissent lorsqu'elles sont construites autour des gens, et pas seulement autour des bâtiments.
Aujourd'hui, ce message est plus urgent que jamais. Les centres-villes de tout le Canada - Ottawa, Vancouver, Victoria, Toronto, London et d'autres encore - sont en difficulté. Mais ces villes ne sont pas seules. La pandémie n'a pas créé la crise dans nos centres urbains ; elle a accéléré des problèmes systémiques de longue date auxquels sont confrontées les administrations municipales - le manque de compétence, de ressources ou d'autorité pour traiter pleinement des questions de plus en plus urgentes qui affectent leur fonctionnement économique et social.
Même avant COVID, le dynamisme des centres-villes canadiens était mis à mal par des schémas d'utilisation des sols axés sur les bureaux commerciaux. L'essor de la technologie de la téléprésence et du travail à distance avait déjà commencé à remodeler la culture d'entreprise. Les travailleurs n'ont plus besoin d'un bureau attitré - ils veulent de la flexibilité, de la mobilité et une communauté. Les encombrements aggravaient les temps de trajet et l'attrait du travail à domicile augmentait.
Lorsque les lockdowns ont frappé, le changement est devenu permanent pour beaucoup. Et les appels à "récupérer les travailleurs" sont restés lettre morte.
Mais la disparition de nos centres-villes ne se limite pas à des immeubles de bureaux vides. Il s'agit aussi de l'échec total d'autres systèmes - logement, soins de santé, sécurité communautaire et soutien social. Des décennies de sous-investissement dans les logements supervisés, combinées aux effets dévastateurs de l'approvisionnement en drogues toxiques, ont transformé les centres-villes en refuges de dernier recours. Les crises de santé mentale et de toxicomanie se déroulent sur nos trottoirs, et l'image de carte postale du centre-ville canadien s'est estompée.
La solution ne consiste pas à blâmer la victime ou à pointer du doigt les différents niveaux de gouvernement, ni à être nostalgique d'une sorte de fable d'avant la pandémie dans les centres-villes. Ce qu'il nous faut, ce sont des approches pragmatiques, axées sur les personnes, qui reconnaissent la complexité de chaque défi et s'appuient sur ce qui fonctionne déjà.
Dans tout le pays, des efforts prometteurs sont en cours. Des équipes d'action locales - composées de travailleurs sociaux, d'intervenants d'urgence et de fournisseurs de logements - offrent un soutien immédiat aux personnes en situation de crise. Les propriétaires d'immeubles de bureaux de classe B et C convertissent les espaces sous-utilisés en logements abordables ou pour étudiants, ainsi qu'en espaces culturels. London a récemment converti son premier immeuble de bureaux en appartements résidentiels. CTV News London a organisé l'une des premières visites sur place.
Des églises sous-utilisées ouvrent leurs portes à des artistes. Un cirque s'est installé dans l'église St Jax de Montréal et un lieu culturel dans l'église St Paul de Londres.
Pour leur part, les municipalités investissent dans l'amélioration du domaine public afin de rendre les centres-villes plus attrayants. Les établissements d'enseignement supérieur réaffectent les espaces commerciaux excédentaires à l'apprentissage et à la recherche, comme l'ont fait l'université de Calgary et le Fanshawe College.
Il ne s'agit pas de grands gestes. Il s'agit de mesures pratiques et progressives qui reflètent l'intuition fondamentale de Jacobs : les centres-villes dynamiques sont construits par des personnes qui font des choses différentes, à des moments différents, dans des espaces partagés. Enseigner, vendre, célébrer, faire des transactions, vivre. Comme elle l'a dit, "on ne peut pas compter sur le fait d'amener les gens au centre-ville, il faut les y mettre".
Demander aux gouvernements et au secteur privé d'ordonner à leur main-d'œuvre de retourner au bureau s'est avéré inefficace et ne constitue qu'une partie d'une solution plus large. Ce qu'il faut, c'est davantage de logements, en particulier des logements abordables et des logements pour la main-d'œuvre dans les centres urbains. Davantage d'investissements dans les espaces publics qui invitent au rassemblement et donnent envie de s'attarder. Un soutien accru aux entreprises locales, aux institutions culturelles et aux organisations communautaires qui font vivre les centres-villes. Il faut aussi reconnaître que les centres-villes ne sont pas seulement des moteurs économiques, mais aussi des écosystèmes sociaux.
Créé par CUI, le Chambre de commerce d'Ottawa rapport "Capital vivantinvite tous les secteurs à investir dans la vie au centre-ville, la création d'emplois et l'espace public. D'autres villes suivent le mouvement avec leurs propres plans, notamment Waterfront Toronto, Arts Commons à Calgary, London et le Quartier des Spectacles à Montréal, qui montrent ce qu'il est possible de faire lorsque les centres-villes sont considérés comme des lieux de vie, et pas seulement de travail.
Les villes sont en constante évolution et les centres-villes ont la possibilité d'investir dans ce qu'ils sont en train de devenir. Les tendances sont claires. Les outils sont disponibles. L'urgence est réelle. Cessons d'exiger que les gens reviennent et commençons à construire les centres-villes là où ils veulent être.